Départ : Chamonix (Aiguille du Midi) (3795 m)
Topo associé : Haute Route Chamonix-Zermatt, variante Italienne
Sommet associé : Haute Route Chamonix-Zermatt (4314 m)
Orientation : T
Dénivelé : 11800 m.
Ski : 3.3
Sortie du lundi 22 avril 2019
Conditions nivologiques, accès & météo
Des alternances de grand beau temps, surtout au début du raid. Fin du raid sur notre dernier 4000 Suisse dans la purée de poix. Etat de la route : noire
Altitude du parking : celui des grands Montets. Retour par le train, gare d'Argentière (500m à pied du départ !) Du meilleur au pire ! En passant par tous les types de neige existantes.
Altitude de chaussage (montée) :
Altitude de déchaussage (descente) :
Activité avalancheuse observée : néant
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
Avec Lucas
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Notre volonté (initiale) est de dormir le moins possible en refuge peuplé de skieurs effectuant Cham-Zermatt. Nous n’avons prévu aucun itinéraire, pas de but précis, si ce n’est d’aller vers l’Est, se laisser porter par les opportunités, faire les beaux sommets qui immanquablement nous tendrons les bras. Nous n’avons donc réservé que les deux premières nuits. Après on fera au gré des conseils des gens sur place, gardiens, guides, skieurs du coin… Si tous les gens qui nous ont conseillés nous lisent, qu’ils soient ici chaudement remerciés, leur aide a été précieuse ! On a beaucoup de cartes, et toute la Suisse dans mon smartphone (Swiss Map Mobile).
Enfin, nous avons deux semaines devant nous, un luxe que beaucoup nous envieront, et nous savourerons chaque jour le bonheur de cette liberté.
Jour 1 : lundi 15 avril 2019. Grands Montets >> La Fouly. D+ = 1755m.
Départ des grands Montets à 8h45. C’est le grand départ ! La veille on a pesé et re-pesé les sacs. On opte pour partir léger, et déjà c’est bien lourd. Surtout le sac de Lucas, qui a du matériel lourd, et a été très généreux sur la quantité de bouffe. Je lui en serai éternellement reconnaissant lors des pauses. Mes épaules aussi lui sont reconnaissantes !
Mon sac tout chargé (eau + bouffe) fait 14 kg. Le sien 20 kg ! (Mesuré au peson !)
Départ en peaux de phoques du sommet du télésiège de la Herse. On est pas seul, c’est le grand rendez-vous d’une grande foule cosmopolite. Il y a les rapides collants pipettes, on peut supposer pour une course à la journée. Il y a les groupes, suivant pas à pas celui de leur leader (guides, animateurs, initiateurs), beaucoup de ces groupes sont inexpérimentés, les conversions sont difficiles, beaucoup de zipettes, et une perception un peu angoissée de toute cette glace, ce froid… Pourtant les conditions sont excellentes, il fait bien froid, tout s’annonce bien.
Et bien sûr les cadors du ski de rando, qui d’un pas lent et régulier savent qu’ils arriveront à bon port, quelques jours plus tard, malgré les pièges et aléas qu’une montagne qu’ils connaissent bien leur aura tendus. Ça, c’est nous !
Plus sérieusement, je ne suis pas aussi serein, si les difficultés ne me font pas peur, je me demande si j’aurai la fritte pour cette journée où il est prévu de traverser en une seule étape le massif. Et à plus long terme, aurai-je suffisamment de résistance physique ? Le cardio est entraîné, mais quid de tous ces petits maux (vieilles tendinites, entorses et autres mémoires du corps) qui arrivés à un certain âge pourrissent un peu chaque rando un peu longue.
C’est avec ces pensées que j’arrive au col des Rachasses (3037m). Lucas ne doit pas se poser toutes ces questions, ça doit faire un quart d’heure qu’il est arrivé !Descente par des contre pentes au soleil et neige de printemps. Remontée ensuite au col du Chardonnet (3323m). La descente de l’autre coté est en neige et en glace sous-jacente. Corde fixe installée pour les premiers 40m. Après, rien, c’est raide mais moins exposé. Nous, on choisit d’essayer notre nouveau système. Corde de 30m en 8mm qui nous sert à progresser sur glacier, et une cordelette statique de même longueur en 5mm qui sert à la récupération. Ça fonctionne super bien ! On peut, du coup, rejoindre un deuxième relais et descendre la dernière longueur assurés (on a gardé les skis au pied). On aide un couple d’espagnols, lui est super à l’aise sur ses skis. Elle, en snow, beaucoup moins, il lui passe un second piolet, mais on sent que ce n’est pas encore la grande sérénité. Ils sont super contents et nous remercient chaudement d’avoir pu utiliser notre corde.
Descente sur le glacier de Saleina puis remontée vers un passage (3416m) situé entre Col de la Grande Lui et Col de Saleina (attention, les dénominations sont inversées entre carte suisse et carte IGN). On n’aurait jamais trouvé s’il n’y avait pas eu de traces. De ce passage, on prend directement pied sur le glacier de l’A Neuve. Longue descente en neige horrible du début jusqu’à la fin ! Pour ma part ce sera une longue et douloureuse série de traversées conversions (aïe les genoux!). Lucas, plus courageux et téméraire réussit certains de ses virages…
Arrivée à l’Hôtel des Glaciers vers 18h. Accueil très pro, et très précis, c’est l’arrivée en Suisse… Instructions et timing millimétrés nous sont donnés dès notre arrivée. Par contre, on a pas bien saisi pourquoi ils voulaient absolument nous faire partir le lendemain à 5 heures. Heureusement ce point quelque peu douloureux sera arrangé ultérieurement. Repas du soir et petit déjeuner bons et copieux. Nuit en dortoir, on est seuls dans le nôtre.
Jour 2 : mardi 16 avril. La Fouly >> Hospice du Grand Saint Bernard. D+ = 1180m.
C’est une journée répertoriée comme journée de repos. La prévision météo est mauvaise. Départ de la Fouly à 9h après avoir retiré du liquide au distributeur. C’est peu de dénivelé mais c’est long en distance. Les pieds, chevilles et genoux souffrent (enfin… mes miens).
On choisit de passer d’un versant à l’autre par la fenêtre d’en haut (2720m). Jour blanc, descente comme des taupes ! Passage rigolo dans un tunnel.
Arrivée vers 15h à l’Hospice (2469m) où un panneau à portée philosophique nous attend. Bâtiment austère à l’extérieur, magnifique à l’intérieur. Ils ont bon goût les religieux. Ils sont de deux sortes, d’une part de vrais religieux, en costume de religieux, et d’autre part ceux de la maisonnée, qui aident et restent visiblement de longues périodes, j’imagine que ce sont des bénévoles, mais en réalité je n’en sais rien.
Le repas est très chiche (on a tous un peu faim au terme du repas, malgré la quête de rab de table en table). On discute autour de nous, notre manière de voyager, inusitée, notre demande de conseils et d’idées attirent la sympathie des guides, et on nous conseille un beau trajet pour le lendemain.
Jour 3 : mercredi 17 avril. Hospice >> Cabane du Vélan. D+ = 1850m.
Départ à 8h, l’étape risque d’être longue. 9h20 sommet de la grande Chenalette (2880m), puis pointe des Drônes (2949m) à 9h50. La neige était bien dure, idéale pour s’économiser, il y a un grand soleil. Descente directe sous le sommet, départ un peu scabreux où il faut s’aider d’un gros rocher pour traverser. Descente raide et en poudre, quel pied ! La suite de la descente est en super neige jusqu’à Maringo à 10h40 (celui de la bataille Napoléonienne)(1940m). On apprend que le général Desaix, celui de l’autre statue de la place de Jaude (pas celle de Vercingétorix), sujet de tant de blagues plus ou moins salaces, de photos suggestives (sous certains angles, sort du pantalon de ce pauvre maréchal l’homonyme de son nom), à Clermont-Ferrand, est mort là en 1800 !
Ça nous en met un coups, et il nous faut bien une grosse pause, sur deux chaises sur une terrasse abandonnée d’un ancien resto en ruine, en mangeant nos harengs ! Il faut repartir, la montée est un peu exposée pour rejoindre un petit sommet nommé Montorge (2881m)(15h) situé entre le Croix de Tsousse et le petit Vélan. Descente de rêve jusqu’au plateau des grands plans (2220m) et à 16h et on se paye le luxe de se laver au torrent. À 17h30, on boit une bonne bière à la Cabane du Vélan (2642m). Nous ne sommes que trois clients. L’architecture du refuge, années 90 est très agréable avec salle à manger panoramique. Le repas excellent et très copieux, ça change de celui des moines !
Jour 4 : jeudi 18 avril. Cabane du Vélan >> Mont Vélan >> Cabane de Valsorey. D+ = 1880m.
Départ à 7h de la cabane du Vélan, direction le sommet du Mont Vélan (3730m). La montée par ce côté passe par le Col de la Gouille (3150m), qui est en mixte à la montée comme à la descente. Je suis un peu inquiet pour mes crampons alu, d’un âge certain, mais ça passe… Il y a des câbles, mais ils n’inspirent pas trop confiance, on préfère s’en passer. On redescend sur le glacier de Valsorey puis remontée en zigzagant entre les zones crevassées jusqu’au sommet atteint vers 11h. Pour rejoindre à la descente le bas du glacier c’est moins rigolo qu’à la montée, la barre de foehn est là, qui ne bouge pas, elle restera plusieurs jours d’ailleurs, et il faut bien se jeter dedans pour descendre. Passage ambiance en naviguant à l’estime pour éviter les séracs et rejoindre le couloir assez raide de descente, dans le brouillard et le vent ! Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Remontée tranquille vers la cabane de Valsorey (3030m). Il est 14h45, on va pouvoir un peu souffler et boire des bières en attendant le repas, et surtout décider de ce qu’on doit faire le lendemain ! On a eu plusieurs plans en tête, il y a tellement de sommets ! On nous dissuade de faire la face S du Gd Combin, je n’ai pas de casque, et des crampons alu, ça ne fait pas sérieux. Tant pis. Et puis la face N, qu’il aurait été élégant de descendre est en glace nous dit-on. Bien. On questionne à droite et à gauche, et un petit groupe avec guide avec qui on sympathise vraiment, nous indique un super plan pour le lendemain. En attendant, discussions d’aventures en mer, sur glace, de grimpe, d’altitude…
Jour 5 : vendredi 19 avril. Cabane de Valsorey >> Cabane des bouquetins. D+ = 2205m.
Départ à 7h. On a décidé de rejoindre le groupe de trois, celui accompagné du guide, on se rejoindra au bivouac de ce soir. Très bonnes conditions de regel. Il fait moins 9°C. Montée d’abord en peaux, puis en crampons pour rejoindre vers 8h30 le début du plateau du couloir (3662m), un peu au N du bivouac de Biago Musso. Descente sur le glacier de Saunadon, et remontée au col du même nom (3500m) (9h15). On enchaine sur une descente rapide et extraordinaire sur le glacier Durand. Il faut remettre les peaux pour rejoindre presque à plat la vallée suivante et redescendre sur un genre de croisement de vallées nommé Chanrion, et passer au fond des gorges resserrées et magnifiques qui sont au pied de la pointe d’Otemma. Il y coule un peu d’eau, remise à niveau des gourdes, mais… pas de lavage, il fait encore trop froid, il n’est que 10h30. Au sortir des gorges, commence un genre de calvaire, la lente remontée du glacier d’Ortemma, observés silencieusement par tout un tas de séracs qui nous entoureront pendant de longues heures. C’est très beau, certes, mais personnellement, même ces beautés me fatiguent, et je préfère m’isoler dans mes pensées et je monte en fermant les yeux (sacrilège ! Confiture aux cochons !), et puis les douleurs toujours présentes, saleté de chaussures, saleté de bretelles de sac, saleté de vieillerie… On remonte vers le col de l’évêque, que je dépasse sans m’en apercevoir, un peu zombie après cette longue montée, et on se retrouve sur la pointe orientale d’Oren (3525m), il est presque 16h ! Descente sur le haut glacier d’Arolla. Et puis remontée, fatigante à cette heure, de quasi 100m de dénivelé. Il est 17h15 et je suis mort. Entre le moment où le guide a téléphoné et le moment où on arrive, 6 personnes se sont ajoutées, et c’est carrément trop pour cette petite cabane ronde, charmante au demeurant. La solidarité française pour se serrer sur les couchettes est nettement moins perceptible que celle des Suisses allemands ! Sur les cinq que nous sommes dans notre petit groupe nouvellement constitué, quatre préfèreront dormir dans la réserve à bois voisine, et je dormirai pour ma part sur une banquette, que je trouve à la longue bien étroite ! Je me réveille dans la nuit, il y a une petite tempête de neige, et de la fenêtre ouverte sous laquelle je me trouve tombe la neige, ma couverture en est toute mouillée. Mauvaise nuit donc pour notre seule nuit en abri non gardé, censé être préservé de la foule des grandes routes !
Jour 6 : samedi 20 avril. Cabane des bouquetins >> Refugio Guide della Val d’Ayas. D+ = 850m.
Suite à cette petite nuit, on petit déjeune dans l’abri à bois, grâce à la générosité du guide, qui a un réchaud, du café, enfin tout ! Départ vers 8h et col du Mont Brulé vers 9h (3213m), montée en peaux puis en crampons. Descente puis remise des peaux sur le Haut glacier de Tsa de Tsan (!). Puis col de la Serpentine (3555m), col de Valpeline (3554m) et superbe descente direction Zermatt, on s’y retrouve avec nos trois compagnons pour boire une bonne grande bière des adieux au bord des pistes à Stafel Alp, ils rentrent sur Zermatt, on s’arrêtera à Furi, acheter sandwichs et quelques vivres dans un hôtel de luxe et repartir directement par les remontées du Klein Matterhorn. On ne fait pas le Breithorn, d’après notre décompte d’heures, on aura pas le temps, ça nous aurait fait notre premier 4000 (facile) du voyage, il est quand même déjà 16h ! À 16h45 on passe au pied du bivouac Rossi, qui a l’air bien sympa sur son arrête rocheuse. On ira le visiter une autre fois, on a envie de se poser assez rapidement. De même on laisse tomber Pollux, qui de toute façon est en glace. À 18h environ on est au refuge des guides (3420m). Le repas servi par le gardien et ses aides, assiette par assiette s’il vous plait ! est excellent et copieux. On sympathise avec un groupe de jeunes français, joyeux, bavards, bien sympas. Leur guide est super sympa aussi. C’est lui qui nous conseillera pour le refuge suivant, car fidèles à notre habitude, on a rien prévu pour la suite…
Jour 7 : dimanche 21 avril. Refugio Guide della Val d’Ayas >> Refugio Gnifetti. D+ = 1480m.
Départ 7h10. Aujourd’hui deux 4000 au programme. D’abord Castor à 10h15 (4223m), montée en crampons, passages en glace, dernière montée pour rejoindre l’arrête bien raide, avec de la glace sous-jacente. Beaucoup de vent au sommet, très belle arrête esthétique, comme dit l’autre, faut pas se la mettre ! Je me suis chopé de belles onglées, j’ai froid, j’ai eu peur, bref, c’est de l’alpinisme ! Descente d’abord en crampons puis en ski par le versant SO, pour rejoindre le Felikgletscher, passer au pied du Felikhorn, puis longue traversée au pied de la longue arrête du Liskamm, sur le Lysgletscher. Le Liskamm, on ne songe même pas à le faire, il y a de la glace partout, et c’est bien expo ! On se contentera de faire Il Naso du Liskamm (4280m). Est-ce considéré comme un 4000 ? Cette question ne retient pas longtemps notre attention. On trouve ça chouette d’être là, en plein froid, crampons aux pieds, en pleine forme ! Naviguer à 4000 sans être affecté par l’altitude, ça ne m’est pas arrivé si souvent. C’est l’immense avantage de ce type de voyage au long cours. De même, je n’ai plus aucune douleur ! Il en aura fallu du temps, mais le bonheur de se mouvoir sans entraves ! Les douleurs disparaissent, les soucis momentanément laissés dans la plaine, l’avenir est rose, avec la fritte qu’on a, c’est bien le diable si on arrive pas à se sortir de tout en revenant !
Pour l’heure il faut quand même redescendre sur le Ghiacciaio Del Lys, remonter en direction du Ludwigshöhe, direction le Bivacco Giordano, puis redescendre au refuge Gnifetti (3625m) qu’on nous a conseillé. Bon, c’est vrai, la bière est bonne (un Suisse à qui on a rapporté du matos oublié nous l’offre), la nourriture excellente et originale (poulet rôti, fondue au chocolat), et on est dans une chambre de quatre. Tout ça à 3600m ! Mais c’est quand même une grosse usine, normal pour un WE de Pâques…
Jour 8 : lundi 22 avril. Refugio Gnifetti >> Zermatt. D+ = 800m (D- = 2700m).
La météo se dégrade de plus en plus. On a déjà eu beaucoup de chance, quand je pense qu’on a failli annuler en raison de bulletins assez catastrophiques ! Comme dit le dicton… d’autant qu’on a bu depuis le début du trajet largement autant qu’au bistrot ! Mais la barrière de foehn chaque jour est de plus en plus envahissante et finit par s’élever jusqu’à nous. C’est con pour notre CV, c’était le jour ou jamais de faire tous ces 4000 des Monts Roses, accessibles que c’en est une pitié. On en fera qu’un : le Ludwigshöhe (4342m), dans la crasse. D’ailleurs on est tellement dans le brouillard qu’on s’encorde, c’est bourré de crevasses mal rangées, juste dans nos pattes. C’est la fin pour nous, le temps annoncé pour les prochains jours et l’état de nos finances (budget bières et pinard explosé!) ont raison de nous. Dommage, on avait encore la semaine devant nous. Ce n’est pas encore cette fois qu’on chopera une cirrhose…
Descente en ski jusqu’à Zermatt. Cette descente n’est pas à négliger, il y a encore pas mal de glaciers crevassés, on est content de suivre le guide du groupe de jeunes, dont l’expérience nous fait prendre des itinéraires bis, sans les traces de ces milliers de skieurs qui sont passés par ici.
Arrivée à Zermatt, petit village sympathique de montagne, où les gens ont su rester simples et naturels, heureux dans leur sobre dénuement.
Nous utilisons nos derniers francs suisses pour les trains du retour. Tout se goupille à merveille, et nous voilà arrivés à la gare d’Argentière, 500 mètres à pied de notre véhicule, au pied des grands Montets.