Départ : Lac de Place-Moulin (1900 m)
Topo associé : Dent d'Hérens, Voie normale depuis le ref. Aosta
Sommet associé : Dent d'Hérens (4171 m)
Orientation : S
Dénivelé : 5180 m.
Ski : 4.2
Sortie du jeudi 24 mars 2016
Conditions nivologiques, accès & météo
J1 à J3: grand beau, plutôt frais, J4 : beau temps jusqu'à mi-journée avec bcp de vent de N/E, quelques flocons et brumes en fin d'après-midi puis nuit claire, J5 : grand beau avec bien moins de ventEtat de la route : dégagée jusqu'à La Ferrera (commune de Bionaz)
Altitude du parking : 1691m
Altitude de chaussage (montée) : 1691m
Altitude de déchaussage (descente) :1691m
Activité avalancheuse observée : une plaque partie en rive D du vallon de Valcournera à env 2700m (a traversé des traces précédentes)
Très bonne neige dans l'ensemble : poudreuse dans le Valcournera, sur le glacier de Bella Tza ainsi que sur le glacier des Grandes Murailles avec des zones cartonnées ou tassées
Skiabilité : 🙂 Bonne
Compte rendu
Avec Marc V., Patricia, Patrick
cf. détail ci-dessous
Cette année, Patricia a eu la gentillesse de ne pas me laisser seule avec les 2 petits hommes verts. D'ailleurs, depuis l'année dernière, l'un d'eux a passé du vert au rouge. Aurait-il mûri ? Dans ce cas, pourvu que son degré de maturation s'arrête là...
Quand j'ai proposé la Valpelline, Marc m'a répondu : "Nous te suivrons où tu voudras". C'est ainsi que j'aime qu'on me parle.
J1 : La Ferrera (1691m) - Prarayer (2005m) - D+ 350m
Me voici donc en cette fin d'après-midi de dimanche, arrêtée à la barrière de La Ferrera. Pas grave : il ne reste qu'environ 300m pour monter au refuge. Enfin, "monter", façon de parler, il vaudrait mieux dire alterner faux-plats montants et faux-plats descendants. Cette plaisanterie dure au bas-mot 2h30. Mais qu'importe : voici le bout du monde. Ici, on se sent petit, vulnérable : les pattes de chamois et carcasses de bouquetins qui jonchent la trace rendent l'impression palpable. Ici aussi, le personnage principal n'est pas le randonneur mais le décor et il n'est pas de carton-pâte. Du solide. Enfin, espérons-le.
Le mur du barrage est diabolique : + je m'en rapproche, + il s'éloigne et, une fois atteint, + je m'en éloigne, + il semble près derrière moi. Je le maudit et pense à toutes ces larmes de pierre et de glace qu'ont dû verser les géants quand ils ont vu leurs eaux fougueuses arrêtées, dans leur élan vers la mer, par ce mur hideux.
Mais pressons le pas : à Prarayer, mes amis m'attendent. Il y a Marc, ancien chasseur alpin avec de beaux restes, Patricia, monitrice de ski - allez à Isola, demandez Patricia et vous aurez la mesure de vos marges de progrès - et enfin, Patrick, l'ami fidèle, toujours disposé à vous prêter main-forte et, bien que niçois, plutôt kling kling crampons/piolet que bling bling. M'attendent également, 16 formés de l'EMHM de Chamonix + leurs 4 instructeurs. Ils sentaient bon (non, pas le sable chaud !) mais les neiges froides, les départs glacés et les retours harassés. Savoir bien s'entourer : secret d'une vie de montagnarde comblée.
J2 - Refuge Prarayer (2005m) - Colle Bella Tza (3047m) - D+ 1050m
Par quoi commencer ? Des Annéciens bien sympas nous confient que le glacier de Bella Tza est intégralement en poudre. C'est ce qu'il nous faut. Au départ, on fait connaissance avec la gracile forêt de mélèzes du bas vallon Buthier et ses petits ponts que les cantonniers ont oublié de déneiger de sorte qu'on s'avance sur une espèce de fil de neige dure arrivant à la hauteur du parapet. Mais, quitte à se noyer, autant le faire aujourd'hui dans la poudreuse promise. Fiables, les Annéciens ! Merci ! Au Colle della Bella Tza, on est pris en étau entre le Château des Dames et le Mont Dragone et le regard se dirige vers le Valtournanche. On échange quelques mots avec....des Grenoblois et on s'empresse de s'élancer sur le glacier. Pendant que certains "envoient du lourd" comme d'autres soulèvent la fonte, nous, on disperse des étoiles dans l'azur comme d'autres des paillettes au faîte de leur gloire...(violons)
J3 - Refuge de Prarayer (2005m) - Dôme de Cian (3351m) - D+ 1580m
Vu les dîners de Prarayer dont la qualité n'a d'égale que la quantité, il apparut rapidement qu'il fallait, pour faire bonne mesure, un "menu du jour" également roboratif. Va donc pour le Dôme de Cian.
Le niveau du barrage permet actuellement de descendre directement sous l'Alpe Bas de Montsarvin. çà ajoute une 40aine de m de déniv., mais c'est un raccourci. Puis, on grimpe, rudement, le bois de mélèzes pour déboucher à l'Alpe de Valcournera. Et là, eh bien, si on y arrivait les yeux bandés, on pourrait les ouvrir en se croyant dans un vallon de l'Oisans, style Etages ou Mariande. Le froid est intense jusqu'à l'arrivée au soleil 700m plus haut après de longs plats entrecoupés de pentes et goulets plus dénivelants. Bientôt, le col Chavacour, objectif intermédiaire, est en vue. On le laisse à main D et quelques vallonnements et redescentes plus tard, on se trouve au pied de la calotte sommitale qu'on négocie par le S avec devant soi la très belle Punta Tzan. Au sommet, récompense ultime : on LE découvre, LUI, le plus majestueux, je veux dire le Matterhorn, si proche. La descente ne sera que plaisir même si, dans certaines orientations, la poudre commence à cartonner. Vu personne de la journée.
J4 - Refuge de Prarayer (2005m) -Refuge Aosta (2781m) - D+ 800m
Le temps se maintient au beau, le stock des calories emmagasinées frôle le trop-plein. On peut donc raisonnablement viser plus haut. Et c'est parti pour le refuge Aosta, les gardiens sont montés la veille.
Le blizzard (vent de N/E) nous cueille au niveau de l'Alpe de Déré la Vieille. On l'aura de face durant toute la montée. Du bas du glacier de Tsa de Tsan qui figure sur ma carte (aussi vieille que l'Alpe de Déré), il ne reste pas grand chose. A la faveur de la brume montante, ou plutôt à cause d'elle, on ne va pas au plus simple : on monte directement sous le refuge et là, sur la neige durcie, la réussite de chaque conversion tient du miracle. L'arrivée sur les quelques m2 plats devant le refuge est un vrai soulagement. Je me dis alors que, malgré la rudesse du parcours, j'ai, une fois de plus, gardé mon sang-froid. Oh, rien à voir avec une quelconque vertu morale ! j'étais juste restée frigorifiée alors que le raidillon avait fait suer mes 3 compagnons. Comprenne qui pourra.
On peut dire, à juste titre, qu'au refuge Aosta, on souffle le chaud et le froid. A peine quelques degrés + dans le dortoir mais un accueil si chaleureux, minestrone reconstituant et génépi généreux offert (nous étions les seuls clients) ont eu raison du froid et fait oublier l'opération WC tenant de l'expédition polaire. Et quand la lune a inondé le vallon et les sommets, tous les tourments furent effacés comme par magie. Les flocons de neige qui virevoltaient toute la soirée (selon Patrick, c'étaient juste 3 ou 4 flocons qui s'étaient mis en orbite autour du refuge) avaient cessé leurs manigances mais le vent ne faiblissait pas. Quid du projet du lendemain ? Pour l'instant, dormons, on verra bien demain.
J5 - Refuge Aosta (2781m) - Epaule E de la Dent d'Herens (4075m) - D+ 1350m
Au lever, le vent est toujours présent mais semble moins intense. On part à 8h20. C'est bien tard pour une équipe lente et un itinéraire aussi long. Marc, depuis le début, fait sa Dame aux Camélias. Patrick, lui, déchausse sur le parvis vitrifié du refuge, son ski s'arrête miraculeusement au bord du vide mais son genou a reçu. On part quand même. Pour prendre pied dans la combe, il faut descendre d'une 50aine de mètres bien raides, bien gelés, avec quelques rochers émergents. J'adore ! Mes chaussettes ont du mal à rester en place. Saine et sauve, une fois de plus, je rejoins mes amis pour lesquels ce n'était qu'une formalité.
Ici, on entre vraiment dans l'univers de la haute montagne avec l'exaltation qui va avec. Chacun en oublie ses bobos et ses craintes, le retard pris, l'altitude et la longueur du parcours. A 3400m, les bronches de Marc crient pitié. Heureusement, plus de vent, sa terrasse est somptueuse et, sa patience méritoire. Les cathédrales de glace nous surplombent et dire qu'il y en a peut-être encore autant sous nos pieds ! A main G, le Tiefmattenjoch (col des prairies profondes, quel jolie appellation !) est équipé de cordes fixes. Plus haut, à main D, les merveilleuses Grandes Murailles percent le ciel d'azur de leurs flèches noires. A la hauteur du bivouac Perelli, Patrick choisit de gagner l'épaule à pied par l'arête. Patricia et moi poursuivons à skis, négocions les derniers mètres en louvoyant entre des crevasses bien apparentes et bientôt c'est la consécration de tous nos efforts : IL est à nouveau là, le Matterhorn, si proche qu'on croirait pouvoir LE toucher.
Les 2000m de descente jusqu'à Prarayer (où la gardienne commençait déjà à se faire du souci pour nous !) se feront comme dans un rêve. D'ailleurs, était-ce un rêve ou une réalité ? Les deux se confondent quand ils ont été longtemps inscrits dans notre désir.
Epilogue : on restera encore une soirée à Prarayer pour fêter tout cela (notamment le 1er 4000 de Patricia), remettre genou, bronches et idées en place. A cette fin, le génépi nous sera d'une grande aide.
A mon retour, à l'affiche du ciné de St Lau : "The Revenant". Déjà le film ?