Départ : Le Mollard (985 m)
Topo associé : Coiro, Versant N
Sommet associé : Coiro (2605 m)
Orientation : N
Dénivelé : 1620 m.
Ski : 3.3
Sortie du mercredi 14 février 2018
Conditions nivologiques, accès & météo
Beau, mer de nuages jusque vers 10h, iso 0° 700m => 1600m, pas de ventEtat de la route :sec
Altitude du parking : 980m
10cm de poudre froide au départ, puis 20cm à partir de 1500m, posée sans vent. Pas de sous couche jusqu'à 1200m, puis posée sur un fond poudreux (80cm) jusqu'à 1900m, puis fond dur parfois au-dessus…
Altitude de chaussage (montée) : 1000m
Altitude de déchaussage (descente) : 1100m
Activité avalancheuse observée : RAS (de vieilles purges dans les versants N) jusqu'au moment où… j'ai déminé une plaque vers 2400m (30cm de haut sur 10m de large au départ, beaucoup plus ensuite sur les rives)
Activité avalancheuse signalée dans la zone ce jour, voir la carte.
Skiabilité : 😄 Excellente
Compte rendu
Départ sous la grisaille, mais j'ai un ticket météo bleue. Et cette fois Mick Jaeger m'a exaucé. Quoique j'aurais dû me méfier d'un type qui a de la sympathie pour le diable. Car j'espérais bien ne jamais avoir à rédiger un CR comme celui-ci...
Voici donc l'histoire d'un gars qui a de l'expérience mais qui oublie un paramètre en route et se retrouve pris dans une plaque friable…
Séquence 1 : montée dans une trace froide jusqu'à 1700m. Les 2 personnes précédentes (merci à elles) ont fait demi-tour pour cause de brassage dans 80cm de poudre. Mais il y a eu des sorties récentes dans le secteur sans alerte, le BERA annonce risque 2. Et je trouve que la quantité de fraîche est bien moindre (20cm) et continue.
Séquence 2 : traçage d'une pente à 20-25° exposée W : 20cm de fraîcha posée sans vent. Quelques sondages m'indiquent parfois une couche plus dure sur couche creuse, mais discontinue. Aucun signe inquiétant, je reste en vigilance et continue.
Séquence 3 : traçage du couloir qui se redresse à plus de 30°C, la couche dure réapparaît plus continue, je décide de la "contourner" en empruntant un vallonnement secondaire où une purge a déjà eu lieu (= erreur n°1). Erreur n°2: malgré le traçage assez physique, j'avance bien, d'où une relative euphorie, renforcée par une neige hyper stable sous la trace.
Séquence 4 : j'approche du haut de ce vallonnement et m'apprête à traverser sur la droite pour rejoindre un replat. A cet endroit la pente va être plus raide, mais pour l'instant je brasse dans 60cm de poudre. C'est pourtant à ce moment que je déclenche à distance : quelque chose (un bruit) me met en alerte, je vois la fissure dans la neige 5-10m au-dessus, et sent aussitôt la mise en mouvement. Je tente un pas de dégagement (la zone est petite) mais la neige a déjà poussé mes skis. Premier réflexe, tirer la poignée de l'Airbag sans attendre, puis, la vitesse n'étant pas énorme, je tente de brasser vers le bord de la plaque. Peine perdue, l'avalanche semble même grossir et je commence à être secoué (je comprendrai ensuite qu'une cassure à distance s'est aussi produite en rive droite. A partir de là, deuxième bon réflexe : rester actif pour respirer, garder la tête à l'air (l'airbag est vraiment une aide pour cela), lâcher les bâtons (très gênants)0 et bouger les pieds pour ne pas laisser les skis s'enfouir (position montée :((…). Je sens la masse ralentir mais je continue à brasser car j'imagine qu'à la fin la neige risque de se tasser. Enfin tout s'arrête.
Séquence 5 : ben, pas le temps de se réjouir, il faut dégager les pieds-skis dans la neige compactée (merci la pelle : j'aurais pu faire à la main, mais cela va 20 fois plus vite avec l'outil, ce qui évite aussi de continuer à se refroidir) et s'habiller pour se réchauffer. Et enfin reprendre ses esprits avant de faire de nouvelles conneries, et se débrouiller pour revenir à la voiture sans bâtons.
Moralités :
- j'aurais dû m'arrêter bien avant, et une fois de plus ne pas se laisser griser par cette neige superbe, la forme physique...
- De fait, le danger n'était pas la fraîche récente mais la plaque plus ancienne. Ou plus exactement : le volume important de neige fraîche a rendu explosif le cocktail qui était dessous.
- Vu la faible taille de l'avalanche, je pense que je m'en serais sorti même sans airbag (mais ce n'est totalement certain), mais j'en serais sorti très certainement en moins bon état : physiquement, cela brasse bien quand même, bien que je me sois senti toujours porté ou remonté par le ballon ; psychologiquement, cette aide permet de garder de la lucidité et d'être actif. Au final, je n'ai aucun bobo, perdu 2 bâtons, et 1 boucle de chaussure un peu tordue. Bref, pour moi, y a pas photo : l'airbag est indispensable (a fortiori si l'on sort seul).
– la lecture de quelques témoignages de rescapés est indispensable pour savoir la conduite à tenir (par ex, tirez immédiatement la poignée de l'airbag, ne cherchez surtout pas à économiser une cartouche) ; la lecture d'un reportage récent d'Alain Duclos m'a aussi aidé à comprendre tout de suite ce qui était en train de se passer (oui, je sais, j'aurais dû m'en servir plus bas…).
Accessoirement, je peux aussi vous dire qu'on passe un sale moment: même si un coin de mon cerveau a continué à donner les ordres utiles pour m'en sortir, les autres coins… D'abord c'est la déchéance totale : mourir n'est pas très grave en soi, mais quel con vis-à-vis de ceux qu'on aime (si si, on a le temps de penser cela). Ensuite "p...n, c'était bien la peine de tracer tout cela, je ne vais même pas profiter de la peuf" (comme quoi j'aurais vraiment dû m'arrêter avant). Et encore : "mais cela s'arrête pas ? et si je ne m'en sortais pas vivant ??"...
Voilà, vous savez tout. Si ce retour "d'expérience" peut servir (pour limiter la prise de risque ou pour bien réagir le moment venu).